Miss Pimbêche
Publié le 1er mai 2025
Un soupçon de 1895 aux allures de Cité de Westminster
bservateur invétéré, Silas put vérifier une fois de plus que Miranda devait être la seule femme de sa connaissance - et de son milieu - qui devant une vitrine de bijoutier n’étudiait que son reflet.
Soit parce qu’elle s’estimait de bien plus de valeur, soit parce qu’elle savait que les parures de rubis et autres bagatelles qui foisonnaient sur James Bond street, lui revenaient de droit en tant que fille de duc.
Il se demandait si elle se voyait telle que les autres la percevaient.
Pour l’heure elle s’étudiait avec la plus grande fierté ; elle le pouvait car il n’y avait pas plus jolie qu’elle dans tout Mayfair dont le style victorien ne pouvait que souligner ses attraits. Dans sa robe couleur d’été, toute de taffetas délicieusement brodé d'élytres de scarabées, sa silhouette « en sablier » n’était que plus soulignée. Le volant ornant ses jupes dévoilait subrepticement ses chevilles à chaque foulée que l’on aurait ainsi pu croire calculée.
Il y avait de quoi parader et elle ne s’en privait pas, posant à peine sa main sur le bras masculin, la tête aussi hautaine que son regard, ses manches gigot et sa jupe en cloche allégeant sa démarche princière.
Une véritable héroïne de Shakespeare ou presque !
Ils quittaient à l’instant les magasins de luxe de Mount Street pour se diriger vers les espaces boisés de Green Park à l’heure où chacun se montrait, chevaux et passants s’y croisant sans la moindre humilité, élite obligeait !
- Étonnant comme le monde pratique ce qu’il reproche tant à d’autres !
La remarque aurait paru sibylline si un soupçon de sourire de biais n’avait interloqué Silas et bien que les arbres offrît un abri salutaire, Miranda ouvrit son ombrelle défiant le soleil de la percer à jour.
Silas en fut distrait ; il admira aussitôt les ombres caresser les traits si purs. La beauté de cette jeune femme rendait les hommes idiots. En profitait-elle ?
C'était la première fois qu’il se le demandait, comme quoi sa technique féminine avait du bon !
- Assisterez-vous au pique-nique des Sanderton ?
La mélodie de ses inflexions suaves le charma tant qu’il faillit oublier de répondre.
- Sans doute.
- Vous n’avez pas encore répondu à l’invitation ? Quel rebelle vous faites.
Le sarcasme que semblait porter la réplique déplut à Silas.
- Et vous-même ? Demanda-t-il un peu plus sèchement que la situation ne l’exigeait.
- Oui j’irai et oui j’ai répondu.
- Vous êtes bien machiavélique aujourd’hui !
Elle eut ce rire qui faisait frémir toute chair masculine.
- Peut-être le suis-je toujours et honte à vous de ne pas l’avoir remarqué, vous le fin physionomiste.
Cette fois il allait répondre plus durement lorsqu’ils furent arrêtés par un groupe de jeunes gens en promenade. La conversation fut déviée puis laissée de côté ; on se quitta donc bons amis.
* * *
Pique-nique des Sanderton
Le jardin respirait autant de couleurs que de parfums et les nappes submergées par les plats et boissons, tranchaient par leur blancheur.
Oeufs à l’écossaise, sandwich au concombre, tourtes au porc, scones et autres friandises … accompagnés de vins fins, tourmentaient regards et estomacs.
Dans l’un des somptueux jardins du palais - les Sanderton avaient leurs entrées - les plus titrés se rassemblaient pour profiter des menus raffinés élaborés par des chefs de renom.
Miranda parvenait à trôner sous l’un des arbres les plus feuillus. Sans doute attirées par le vert tendre de ses jupes, les fleurs semblaient s’immiscer entre leurs replis, gagnant peu à peu le corsage délicatement ourlé de dentelle. La jeune fille profitait de son corset pour se tenir aussi royalement que le lui permettait son rang. Inclinant son profil vers l’interlocuteur du moment, elle daignait accorder quelques oeillades aux énamourés qui l’encerclaient, oublieuse des regards féminins qui la torpillaient bien mieux que ne l’auraient fait les canons de sa majesté.
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Silas n’eut pas le goût de rivaliser et abandonna le groupe d’un brutal changement de direction.
D’ailleurs qu’espérait-il ? Ou plutôt que convoitait-il ?
Son père récemment anobli ne lui offrait qu’un choix restreint d’épouses et certainement pas celle-ci qui s’ingéniait à l’ignorer (il l’aurait parié, sûr de gagner) pour mieux l’émoustiller.
Il arpenta quelques allées à la recherche de connaissances, croisa mademoiselle de Hartington aux yeux aussi doux que ses intentions à son égard, salua les frères Cavendish toujours au turbulent snobisme puis se joignit à une sympathique petite bande installée près du lac. Les oiseaux perdus dans ce luxe de cyprès auraient presque, par leurs chants, fait oublier aux visiteurs qu’ils se trouvaient au beau milieu de Londres.
En fin d’après-midi le hasard le remit sur la route de Miranda. On s’entraînait au tir à l’arc : les cibles avaient été largement reculées car l’on savait la jeune fille habile à ce sport. Elle avait plutôt noble allure avec ses hanches rondement dessinées, le cou tendu, le menton haut, le bras sûr composant un tableau de choix. Sans aucun frémissement, à peine un souffle échappé de ses lèvres voluptueuses, elle décocha sa flèche et perça le coeur de la cible aussi sûrement que si elle avait visé celui de chacun des hommes présents.
Tout le monde d’applaudir avec un peu plus de réticence du côté des jeunes filles mais la dame sans aucun égard pour ces dernières, face à cet hommage qui lui paru être dû, eut un hochement de tête satisfait.
C’est là qu'elle tourna les yeux vers Lui … son ancien prétendant, celui qui n’avait pas fait sa demande alors que tous et toutes s’y étaient attendus. L’homme était de stature puissante, d’un abord peu facile tandis que son regard dépeçait les membres de la société sans indulgence, la sienne ou la leur ? Nul n’aurait su dire mais le roturier qu’il était, scrutait Miranda avec une férocité qu’elle lui retournait largement.
Silas néanmoins eut la surprise de déceler une vulnérabilité dans son maintien. Que s’était-il exactement passé entre eux ?
Elle posa arc et flèches tournant le dos à celui qui ne l’avait même pas saluée. Et dans un froufrou soyeux s’éloigna vers les arbustes qui bordaient le carré de verdure, sa cour à sa suite.
Ce ne fut qu’aux abords de la soirée que Silas tomba par hasard sur eux. Autour de The Boy Statue ils semblaient se défier, attitude soulignée par la pause tranquille de la sculpture dont le regard portait au-delà de leur affrontement silencieux.
Lorsque l’homme, Gal Barlow, propriétaire des chemins de fer Barlow, ambitieux et richissime, tendit la main vers elle, elle s’empressa de la lui prendre. Silas n’avait jamais vu autant de fragilité en elle.
Comme si l’éclair l’avait transpercé, il comprit que Miranda aimait cet homme et que cet homme en retour l’aimait. Aucun mot ne pouvait traduire la force de leur attraction que Silas lui-même à cet instant ressentait au plus profond de sa chair.
Il s’était trompé !
Miranda ne méprisait personne, elle cherchait seulement à cacher sa souffrance. La colère masculine ne traduisait pas de la rancoeur mais un désir brûlant pour cette femme.
Quand dans les bras l’un de l’autre, ils échangèrent un baiser avide à faire pâlir Lysandre et Hermia, Silas sut qu’ils ne renonceraient jamais l’un à l’autre.
Poussé par un irrépressible besoin, il s’approcha de leurs murmures.
- Votre père est-il toujours opposé à notre mariage ?
Elle n’eut pas le courage de nier.
- Je ne voulais pas en arriver là mais il va falloir …
Il n’osa finir.
- Je vous suivrai Gal, toujours et partout !
Entendre Miranda prononcer un tel serment relevait du miracle. Silas en fut abasourdi.
Trois jours plus tard la presse faisait des gorges chaudes de la fuite des deux amants, mariés semblait-il à Gretna Green dans la nuit du 21 juin.
Beau joueur, Silas en fut heureux pour eux - ainsi que toutes les jeunes filles désormais en lice pour le titre de « Reine de la saison » !
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Créations PCV9 : photo de couverture et illustrations
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